Sonatine d'hiver

Thématique "Sonatine d'hiver"

Technique à l’encre de Chine.

    Parce que le sens est secrètement gravé en chaque être, anatomiquement codé, à la manière d’une écriture mystérieuse qu’il convient de déchiffrer bout à bout, non pas par simple collage, mais par osmose d’éléments. Enraciné de la sorte, il fait de l’humain un lecteur inné. 
Cette intuition n’est d’ailleurs pas nouvelle et sous-tend de nombreux travaux d’artistes : pour ne citer que deux exemples :

  • Geoffroy Tory, élève de Léonard de Vinci et de Dürer, établit dans le Champ Fleury, des corrélations minutieuses entre les lettres de l’alphabet d’inspiration divines et le corps humain, faisant de l’homme, inclus dans un chaînon de caractères et en perpétuel questionnement sur le chaînon manquant, une écriture dans les mains de l’essence suprême dont on ne peut prononcer le nom.

  • La calligraphie, qui permet à l’homme de parler par image et de s’identifier complètement à son écriture.

Nous avons tous gravé en nous le mystère des origines et donc, la possibilité de le lire dans nos rythmes intérieurs à condition d’être à l’écoute de notre constitution profonde et ce, de manière non isolé, mais au contraire en harmonie avec le vivant. Il faut savoir écouter, prendre le temps de rétablir les valeurs (contraires à celles qui font, par exemple, que nous nous approprions l’espace au détriment de la biodiversité et qui avalisent le droit de tuer pour servir les intérêts personnels…), de tisser des rapports associatifs interdisciplinaires, ne pas se laisser absorber ou détourner par ce que l’homme a imaginé pour se distraire et le système clos autour duquel il gravite artificiellement. Et surtout garder à l’esprit que la noblesse de l’âme est la plus grand des richesses. 
Tout le vivant doit participer à la levée du rideau car chaque être possède en lui, déposée depuis des temps immémoriaux, une clef. L’univers lui-même n’est-il pas codé en sa propre structure atomique ? (cf l’ouvrage de Igor et Grichka Bogdanov,  » Avant le Big Bang « , dans lequel ils évoquent un  » code cosmologique « , pendant de notre code génétique, à l’origine de l’Univers). 
Et l’Art, par le canal particulier qu’il utilise pour se révéler à son récepteur, peut être un bon moyen pour libérer la connaissance innée, acquise, ou qui, d’une tradition, a basculé dans l’innéité.

Avec la thématique du corps ligneux, nous abordons la dimension sacrale du dessin. Les manifestations théophaniques éclosent au sein de deux supports déhiscents, véhiculant les mêmes références de par la communauté de matière : – les arbres qui réfèrent à une forte symbolique de par leur présence centrale au sein de nombreuses cosmogonies (arbre de Vie, de migration des âmes chez les indiens…), lien entre les zones de l’invisible d’où le tronc tire sa force, et l’atmosphère.

  • les portes qui véhiculent l’idée de passage, et donc d’invitation à être initié, de possible perméabilisation des différents plans de conscience ou mondes : le mot  » porte  » en grec est employé au figuré pour parler des sens qui sont comme des portes par lesquelles pénètrent les sensations : accès à l’humanisation par l’éveil des sens au travers de l’Art. Car bien sûr, le sens s’éprouve…

Autre indice en rapport avec la structure ligneuse : Dans la tradition juive, lors de la Création, des étincelles de lumière divine tombèrent dans le monde  » où elles s’entourèrent d’écorces (qlipot) qui empêchent de les atteindre. Le travail de l’homme est de libérer la lumière divine et les âmes saintes de ces écorces en les brisant.

Technique "Sonatine d'hiver"

Technique à l’encre de Chine.

Origine

Son apparition dans l’histoire reste confuse. Une légende chinoise attribue son invention à Tian Zhen sous le règne mythique de Huang Ti, « l’empereur jaune « , génie du tonnerre et patron des taoïstes (2697-2597 av. notre ère). A la même époque naissent les caractères chinois.
En Extrême-Orient, le bâton d’encre appartient aux quatre trésors du lettré, avec les pinceaux, la pierre à encre et le papier.

Composition

L’encre de Chine, outre sa dénomination, ne possède en commun avec l’encre orientale utilisée par les calligraphes et les peintres asiatiques, que son caractère indélébile. Elle doit cette propriété à la présence d’une résine dans son liant. Elle se présente sous forme solide ou liquide. 
La préparation de l’encre traditionnelle reste un secret. On y a cependant identifié du noir de fumée, une gélatine (gelée de cerf ou colle de poisson ?), du camphre et du sucre. 
L’adjonction de pigments végétaux ou de pigments naturels (encre de seiche pour la sépia), dilué dans de l’amidon de riz ou du blanc d’oeuf, permettait d’obtenir les encres colorées.

Pont des expressions :

    L’intérêt de l’Art Chinois par rapport à nos propres travaux, et qui justifie le petit historique du début, réside dans la communauté des matériaux utilisés par les orientaux pour peindre ou pour écrire, cette osmose entre graphie et dessin. Les premiers paysages, souvent illustrés par des morceaux de poésie, déclinent leur conception de la peinture comme  » poème sans mots « . Peinture et littérature ne se conçoivent pas l’une sans l’autre. Pour ces artistes, toutes les couleurs se trouvent dans l’encre dont le degré de dilution permet l’obtention de nuances riches et innombrables. Dans cette conception, les couleurs n’apparaissent que pour pallier les lacunes de l’imagination.
L’écriture, pour beaucoup de civilisations, peut devenir performative c’est-à-dire qu’elle a le pouvoir de réaliser ce qu’elle signifie selon un emploi précis, quasi rituel, que peu de gens maîtrisent (propriété à rattacher à son utilisation idéologique et non plus sociale).
On ne doit donc pas s’étonner que son histoire réelle en Chine soit rattachée à la magie avec le devin Cang Jie qui, munie de ses deux paires d’yeux, l’aurait créée en s’inspirant des traces d’animaux laissées dans la neige. Peut-être peut-on lire dans cette histoire une allégorie soulignant les vertus divinatoires des traces identitaires du vivant et surtout, la nécessité de tenir compte de toute culture, et peut-être même de toutes les branches du vivant, pour reconstituer le message de cette Humanité à laquelle chacun doit tendre.
    D’aucun déclare que l’hypothèse d’une langue mère est une absurdité face à l’existence de plusieurs foyers d’apparition simultanés et sans contact ; mais c’est sans compter l’image, la figuration picturale qui endosse la maternité. En effet, le dessin lato sensu (puisque, comme le souligne le peintre américain John Sloan,  » la peinture est dessin « ), est plus universel que l’écrit par sa forme et moins volatile que la parole articulée par son inscription en substance. (A noter que l’écrit n’est pas un codage de la parole mais bien un système créé pour communiquer). Il met en résonance une mémoire d’image engrammée dans l’homme depuis la nuit des temps, période où ce dernier faisait encore intervenir ses mains pour découper le monde selon sa perception et pour créer la réalité dans laquelle il avait choisi d’évoluer. 

    Le dessin, porteur de sentiments et d’idées, se présente comme un moyen d’expression permettant l’unification des codes langagiers et, par ce biais, un bon compromis vers l’universalité : avec lui, le message d’une réalité non linguistique s’adresse directement au cœur et à la conscience via l’émotion ressentie : plus de barrage de langue, ni de graphie dont le style différent [au niveau personnel ou bien inféodé à la matière et à l’instrument (calame, pinceau de soie ; pierre, bambou…)], peut, à un œil inexercé, sembler deux systèmes ; plus de diversité non plus de sons ni d’alphabets. (Remarque : l’étude de l’écart linguistique individuel est pris en charge par la stylistique). En d’autres termes, le dessin correspond à une écriture non soumise à la restriction d’un alphabet mais dont la valeur iconique est restituée par l’agencement signifiant d’une mosaïque de symboles dans notre inconscient collectif. Il est la traduction en image des mots invisibles des langues.
Il permet entre autre, de visualiser (comme l’écriture) l’invisible et de transmettre aux hommes la parole de la nature, les vertus des autres cultures et l’écoute des mystères de l’univers. Une telle responsabilité associée à l’étendu de la source d’inspiration, apparaît à l’artiste, simple canal, comme une leçon d’humilité qui se veut à chaque création plus intense. L’art, comme les écritures premières, correspond dans cette optique, au codage, à des fins communicantes, des signes dont le monde regorge. 

    Bien sûr, nous ne confondons pas avec la calligraphie (=écriture des signes linguistiques). (Les unités des langues sont des signes, mais le signe n’est pas forcément linguistique : exemple : les panneaux routiers sont des signes non linguistiques). Le dessin, pourtant proche, y est écriture de symboles, voire d’indices, et doit être perçu comme signal, du moins de la même façon. La pensée retourne à l’univers des formes, subtile alliance de la signification avec son expression. 
Les signes non linguistiques du dessin (perçus par les organes sensoriels qui élaborent des messages chimiques cheminant par les nerfs jusqu’au cerveau, lequel traite l’influx nerveux), mettent en résonance la réalité non linguistique c’est-à-dire l’ineffable du vécu non socialisable. (L’existence d’une pensée sans langage n’étant plus à prouver. Parmi les expériences effectuées pour valider la thèse, une étude sur des jeunes enfants a mis en évidence la production de modèles sensori-moteurs sans médiation linguistique antérieurs à l’apprentissage de la langue maternelle).
La dimension graphique, comme la définit Jacques Bertin de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, est le langage de l’œil. Pour lui, les systèmes linéaires destinés à l’oreille s’opposent aux systèmes destinés à la perception visuelle qui utilisent un espace à deux dimensions, hors du temps et instantané.

Conclusion :

    L’image est la forme universelle de l’écriture, laquelle possède une origine iconique. N’est-il pas intéressant de constater que la mémoire de l’origine de l’écriture, outil de notre mémoire, se situe quelque part dans l’image, dans les éléments du monde préexistants à la parole et dont nous avons tirés des signes ? 
L’image apparaît aussi comme le seul support qui nous renseigne sur les civilisations englouties et vient suppléer la disparition des témoignages matériels façonnés en bois, cuir… tel est le cas pour les groupes sociaux vivant il y a 6000 ans en Libye et plus précisément sur le site préhistorique Wadi Zrêda dans le Sahara. Les parois rocheuses regorgent de gravures d’animaux très détaillées : nous pouvons par exemple y découvrir le musth de l’éléphant en rut. En effet, lorsqu’un éléphant est en musth (> extase en sanscrit), on observe un gonflement dermique autour d’une glande située au-dessus de l’arcade temporale qui sécrète un liquide visqueux colorant la peau en noir. Au niveau comportemental, le pachyderme devient agressif. Toutefois, certains mâles peuvent entamer une activité sexuelle sans musth. 
Cet art figuratif s’apparente à une écriture rupestre universelle à l’intention de destinataires planétaires futurs c’est-à-dire sans restriction de frontière aucune, ni physique, ni temporelle. 
    Une autre constatation présente un certain intérêt quant au statut unifiant du dessin-écriture comme porte ouverte sur la mémoire originelle : les écritures qui apparaissent dans quatre foyers culturels (Mésopotamie, Egypte, Chine et Mayas), possèdent des caractéristiques similaires : elles sont systèmes mixtes (logographique plus phonétique), et leurs signes sont polyphoniques. Ce qui signifie que dans quatre endroits différents du monde, l’écriture choisit une même forme pour se révéler à l’esprit de l’homme. Qu’il s’agisse d’une même prédisposition voire programmation génétique ( un peu comme l’innéité des facultés musicales), ou d’une inspiration identique, manifestation d’un souffle supérieur, n’est-ce pas la meilleure preuve que tout être humain plonge ses racines dans un même océan sémantique avec pour fonction de transmettre au monde, le message particulier dont chaque culture est le creuset et ainsi, tout en conservant son individualité, construire et s’unir dans une seule Humanité qui progresse sur la trame tissée par les richesses particulières ?
    Alors qu’attendons-nous pour broder sur la tapisserie de la Terre l’idéogramme du mot  » paix  » ?